Vers la fin des années 80, alors que je suis en cours dans une classe du collège de C., le Principal de cet établissement frappe à la porte et me dit :
"Tu dois te rendre à la Gendarmerie pour assurer la traduction de la garde à vue d'un ressortissant britannique habitant Y. Le traducteur officiel assermenté de la Justice est pris par ailleurs. C'est une réquisition. Je fais surveiller tes élèves".

Je quitte donc mon établissement et me rends à la Gendarmerie de C. Là, on m'explique en quoi consiste le travail : traduire avec précision toutes les questions du gendarme enquêteur, écouter la réponse du prévenu, Mr X, les traduire aux enquêteurs et s'assurer que le compte-rendu écrit qui en est fait est fidèle aux idées exprimées par le gardé à vue. On me précise que je suis tenu à l'obligation de réserve et que je ne dois pas divulguer ce qui est dit, c'est pourquoi je me contenterai ici de raconter comment se passe une garde à vue, sans donner aucun détail sur le fond de l'affaire, sauf le motif : culture illicite de cannabis, pour consommation personnelle ou pour commerce ?

A cette époque, la garde à vue à la française n'existait pas en Grande-Bretagne, où le prévenu était "kept in police custody" (gardé à disposition de la justice). D'ailleurs on disait en parlant de lui :"He's helping the police" (Il aide la police à établir la vérité).

La garde à vue commence le matin par une visite d'un docteur, qui attestera de l'état physique de Mr X. au début et à la fin de la journée.
La matinée se poursuit, avec son alternance de questions, réponses et traductions dans les deux sens. De nombreuses explications viennent s'ajouter aux traductions.
L'interrogatoire étant terminé, nous passons à la lecture et signature du procès-verbal écrit : lecture de chaque paragraphe par le gendarme, traduction, modifications éventuelles. Cet exercice demande une grande concentration, et il faut s'assurer que tout est bien clair. Chaque mot ayant son importance, il faut affiner les détails.
Vers midi, signature du procès-verbal. On m'apprend que l'après-midi sera consacré à la perquisition au domicile et visite de la plantation du prévenu. On me demande de me chausser de bottes.
Mr X. a droit à un plateau-repas et je pars déjeuner chez moi.

L'après-midi, nous partons en voiture de gendarmerie vers la commune de Y, où habite Mr X. La perquisition se déroule sans incident : je l'assiste en permanence et traduis systématiquement ses remarques, les questions des enquêteurs et ses réponses.
La deuxième partie de l'après-midi est plus champêtre : les gendarmes ont demandé l'assistance des pompiers de C., venus à plusieurs avec un camion tout-terrain. Nous nous rendons ensemble, gendarmes, prévenu, pompiers et traducteur, vers les bois proches, de type forêt de Double, avec pins, brandes, et ce que l'on appellerait en Saintongeais des "nauves" (vallons humides et insalubres). C'est justement dans ces petits vallons marécageux, disséminés parmi la végétation, qu'apparaissent les nombreux plants de cannabis. Il faut tous les arracher et en charger le camion des pompiers, sous le regard désolé de leur supposé planteur. mj.jpg
Nous devons maintenant revenir à la gendarmerie de C. Le prévenu monte avec les gendarmes : il n'y a plus rien à traduire. La cabine du camion de pompiers est complète : on m'invite à monter à l'arrière et je m'assieds sur le chargement de cannabis, dans l'odeur suave et enivrante de l'herbe juste arrachée.
Les pompiers me déposent près de la gendarmerie et se dirigent vers un terrain communal où ils vont incinérer leur chargement.
Je signe la fin de la garde à vue, et je rentre chez moi, d'où je peux observer une colonne de fumée qui monte vers le ciel.
L'affaire sera jugée quelques mois plus tard au tribunal d'Angoulême.